2016-12-05

Rapport de recommandations visant divers contrats et projets octroyés (ou prévus d’être octroyés) à l’organisme à but non lucratif Montréal en histoires dans le cadre du 375e anniversaire de Montréal (arrondissements de Lachine et du Sud-Ouest et Service des grands parcs, du verdissement et du Mont-Royal), déposé le 5 décembre 2016

Résumé

Des contrats de gré à gré ont été octroyés à l’organisme à but non lucratif Montréal en histoires (MEH), alors que ce n’est pas cet organisme qui fournit réellement les services faisant l’objet des contrats et qu’il doit avoir recours à des fournisseurs, consultants et sous-traitants. MEH agit dans les faits comme une courroie de transmission pour des entreprises commerciales qui bénéficient ainsi d’un avantage concurrentiel. La gestion, la direction administrative et la production déléguée des projets obtenus par MEH sont aussi confiées à l’entreprise privée Torrentiel détenue par des dirigeants de MEH. Il a été recommandé de résilier ces contrats.

EXPOSÉ SOMMAIRE

Le Bureau de l’inspecteur général a mené une enquête approfondie sur les processus d’octroi de gré à gré de contrats à l’organisme à but non lucratif Montréal en histoires par les arrondissements de Lachine et du Sud-Ouest, pour la réalisation de projets dans le cadre des festivités entourant la célébration du 375e anniversaire de Montréal. Plus particulièrement, l’enquête a porté sur le contrat octroyé de gré à gré par l’arrondissement de Lachine pour la réalisation d’un Plan lumières pour un montant maximal de 974 367,14 $, taxes incluses (résolution CA16 190190), et sur le contrat octroyé de gré à gré par l’arrondissement du Sud-Ouest pour la réalisation d’un projet de mise en lumière de ponts et passerelles enjambant le canal Lachine pour un montant maximal de 988 000 $, taxes incluses (résolution CA16 220260).

Au cours de l’enquête, les processus suivis à l’égard de deux (2) projets du Service des grands parcs, du verdissement et du MontRoyal ont également été étudiés par le Bureau de l’inspecteur général. Il s’agit du projet visant le développement et la réalisation d’une application mobile spécifique à la Promenade urbaine « FleuveMontagne » pour une somme de 953 832,60 $, taxes incluses, et du projet de mise en valeur du Square Viger pour une somme maximale de 346 079,98 $, taxes incluses. Ces projets étaient prévus être accordés de gré à gré à MEH, mais l’Administration municipale a décidé de ne pas donner suite aux processus d’octroi. L’inspecteur général estime néanmoins essentiel de porter à l’attention du conseil municipal et du conseil d’agglomération de la Ville de Montréal certains faits révélés par son étude, tellement certaines pratiques identifiées en cours d’enquête étaient risquées.

L’enquête révèle que l’organisme à but non lucratif Montréal en histoires a obtenu des contrats alors qu’il n’est pas en mesure de réaliser luimême les projets. En effet, l’essentiel des contrats accordés par les arrondissements de Lachine et du Sud-Ouest consiste à éclairer ou illuminer des bâtiments ou structures. Or, Montréal en histoires ne possède ni l’équipement, ni l’expertise, ni les compétences, ni le personnel lui permettant de réaliser seul l’objet principal de ces contrats. Tant pour la réalisation du projet de l’arrondissement de Lachine que pour celle du projet de l’arrondissement du Sud-Ouest, les trois-quarts des coûts de réalisation étaient associés à l’achat et l’installation d’équipements, volet pour lequel Montréal en histoires devait avoir recours à des fournisseurs et sous-traitants.

Bien que certains dirigeants de Montréal en histoires prétendent que l’organisme est un développeur de concepts et un gestionnaire de projets, et qu’il supervise les tâches effectuées par les soustraitants, les consultants et les fournisseurs, l’enquête de l’inspecteur général démontre que les concepts et scénarios élaborés et développés dans le cadre des études de faisabilité étaient l’œuvre de certains consultants externes qui agissaient de concert avec le directeur du développement de l’organisme. Au surplus, l’enquête révèle que la gestion, la direction administrative et la production déléguée des projets obtenus par Montréal en histoires sont confiés à Torrentiel, une entreprise commerciale liée contractuellement à l’organisme à but non lucratif.

Ce n’est ainsi pas MEH qui fournit réellement les services faisant l’objet des contrats, mais plutôt des entreprises commerciales qui agissent comme fournisseurs, sous-traitants ou consultants.

Ce qui frappe l’inspecteur général est que l’enquête révèlent les mêmes irrégularités et stratagèmes qu’il avait mis au jour dans le cadre de son enquête sur le Projet de revalorisation et de développement Horizon 2017 de la Société du parc Jean-Drapeau (rapport de recommandations déposé au conseil municipal en mars 2015). Dans les faits, Montréal en histoires se trouve à obtenir des contrats de gré à gré en raison de son statut d’organisme à but non lucratif, alors que d’importantes parties ne peuvent être réalisées par son personnel et doivent être confiées à des fournisseurs, à des consultants ou à des soustraitants. Montréal en histoires agit ainsi comme une véritable courroie de transmission permettant à des entreprises commerciales d’obtenir de l’argent public, alors qu’il a été dérogé aux règles d’adjudication pour conclure des contrats frôlant un (1) million de dollars de gré à gré avec un organisme à but non lucratif.

Du côté des projets du Service des grands parcs, du verdissement et du Mont-Royal, bien que l’Administration municipale n’ait pas donné suite aux processus d’octroi de gré à gré à Montréal en histoires, l’enquête démontre que les processus suivis présentent les mêmes préoccupations que les contrats octroyés par les arrondissements de Lachine et du Sud-Ouest. L’inspecteur général est en mesure de constater que la réalisation des projets était prévue être accordée de gré à gré à Montréal en histoires, alors que l’organisme ne possédait pas les ressources pour réaliser l’ensemble du contrat et que plusieurs parties auraient été confiées à des fournisseurs et soustraitants. L’étude des processus suivis révèle également des pratiques risquées eu égard à la saine gestion des fonds publics et le non-respect d’un avis juridique du Service des affaires juridiques de la Ville de Montréal.

Finalement, la preuve recueillie par l’inspecteur général au cours de son enquête démontre que, dans les faits, Montréal en histoires, en plus d’agir comme une courroie de transmission pour des fournisseurs et sous-traitants, est une façade pour Torrentiel, une entreprise commerciale détenue par Martin Laviolette et Georges Fournier, respectivement directeur général/producteur délégué et directeur administratif de Montréal en histoires.

Par le biais de l’entente contractuelle intervenue entre l’organisme et Torrentiel, l’entreprise détenue par Martin Laviolette et Georges Fournier est en mesure d’obtenir de l’argent public provenant de contrats conclus de gré à gré avec Montréal en histoires qui se présente comme étant un organisme à but non lucratif, mais qui est en réalité géré et sous l’emprise d’une entreprise commerciale. La confusion entre Torrentiel et Montréal en histoires dénature et compromet le statut d’organisme à but non lucratif de Montréal en histoires. Dans les faits, la Ville et les arrondissements croient qu’ils transigent avec un organisme à but non lucratif, mais font affaire avec des entreprises commerciales alors que le jeu de la concurrence n’a pas été suscité grâce à une procédure d’appel d’offres, tel que le requièrent la loi et les règles assurant la bonne gouvernance et la bonne gestion des deniers publics.

Le principe applicable à tout donneur d’ouvrage public est que lorsqu’un contrat de services comprend une dépense égale ou supérieure à 100 000 $, le donneur d’ouvrage doit adjuger le contrat en utilisant la procédure d’appel d’offres public, à moins qu’une exception législative puisse être utilisée, comme par exemple lorsque le contrat est octroyé à un organisme à but non lucratif. Il s’agit là d’une obligation impérative, d’ordre public et qui constitue une formalité essentielle à l’existence même du contrat. L’objectif poursuivi est de faire intervenir le jeu de la concurrence afin d’obtenir le meilleur prix, de permettre la liberté de concurrence et d’assurer l’égalité des chances d’accéder aux marchés publics pour chaque intéressé qui a la capacité de contracter, l’expertise et les compétences requises à l’exécution du contrat. De cette seule façon, les donneurs d’ouvrage publics protègent les intérêts des contribuables et évitent le gaspillage des deniers publics.

L’exception applicable aux organismes à but non lucratif est une exception au principe de l’égalité des chances pour toute personne qualifiée de contracter avec une municipalité. Cependant, encore faut-il que le service à accomplir en vertu du contrat soit bel et bien effectué par l’organisme à but non lucratif pour que le contrat puisse être adjugé de gré à gré à cet organisme. L’organisme ne peut pas sous-traiter la majorité du projet qu’elle s’est engagée à réaliser et ne servir en quelque sorte que de courroie de transmission pour des entreprises commerciales, puisque cela contournerait l’obligation imposée au donneur d’ouvrage de procéder par appel d’offres public.

Or, en l’espèce, de par leur nature même, certains volets importants de la réalisation de ces contrats ne relevaient vraisemblablement pas de la mission de Montréal en histoires et ne pouvaient réalistement pas être effectués par le personnel de l’organisme. Dans les faits, les arrondissements de Lachine et du Sud-Ouest ont délégué l’achat et l’installation d’équipements à Montréal en histoires, alors que ce volet représente la grande majorité des dépenses du contrat. Considérant ces faits, les arrondissements de Lachine et du Sud-Ouest auraient dû procéder par appel d’offres public en vertu du principe général édicté à l’article 573 de la Loi sur les cités et villes, et ils ne pouvaient ainsi profiter de l’exception applicable aux organismes à but non lucratif.

L’inspecteur général conclut que l’exception permettant à un organisme à but non lucratif d’obtenir un contrat de gré à gré malgré sa valeur substantielle a été détournée de sa raison d’être. Cette exception a été utilisée comme véritable « fourre-tout » afin de déléguer à l’organisme des volets du contrat qui auraient dû être obtenus par des entreprises spécialisées par voie d’appel d’offres, afin de susciter la concurrence. Sous le prétexte de la facilité, il a ainsi été dérogé aux règles impératives et d’ordre public encadrant l’adjudication des contrats.

L’inspecteur général tient à souligner que dans le cas du projet de l’arrondissement de Lachine, certains élus et fonctionnaires ont manifesté leur inconfort par rapport au processus suivi et à l’octroi du contrat de gré à gré à Montréal en histoires. Dans le cadre des projets développés par le Service des grands parcs, du verdissement et du Mont-Royal, le Service des affaires juridiques de la Ville de Montréal et le cabinet politique ont également fait part de leurs interrogations eu égard au respect des règles encadrant le processus contractuel.

Les processus contractuels suivis en l’espèce par les arrondissements de Lachine et du Sud-Ouest portent atteinte à la liberté de concurrence et à l’égalité des chances, et compromettent la possibilité d’obtenir le meilleur prix. En plus d’affecter l’intégrité du processus contractuel, les processus suivis sont contraires à l’esprit de la loi et aux principes de saine gestion des fonds publics

Le non-respect de la loi doit être sanctionné en l’espèce et les contrats octroyés déclarés nuls ab initio, puisque les règles auxquelles il a été dérogé représentent des formalités essentielles à l’existence même des contrats. Cependant, l’inspecteur général considère être à la limite des pouvoirs de résiliation de contrats que lui a confiés le législateur à l’article 57.1.10 de la Charte de la Ville de Montréal, puisque l’inobservation de dispositions impératives de la loi et les irrégularités majeures constatées ne constituent malheureusement pas une condition d’ouverture à l’exercice de son pouvoir de résiliation. L’inspecteur général ne peut donc que recommander que les contrats octroyés de gré à gré à Montréal en histoires par les arrondissements de Lachine et du Sud-Ouest soit résiliés par les conseils d’arrondissement compétents. L’inspecteur général tient toutefois à préciser que s’il avait pu résilier ces contrats de son propre chef, il l’aurait fait sans aucune hésitation, tellement les irrégularités constatées sont graves.

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Rapport de recommandations visant divers contrats et projets octroyés (ou prévus d’être octroyés) à l’organisme à but non lucratif Montréal en histoires dans le cadre du 375e anniversaire de Montréal (arrondissements de Lachine et du Sud-Ouest et Service des grands parcs, du verdissement et du Mont-Royal), déposé le 5 décembre 2016