Résumé
EXPOSÉ SOMMAIRE
Le Bureau de l’inspecteur général a mené une enquête à la suite de la réception d’une dénonciation comportant deux facettes différentes et visant Beauregard Environnement Ltée (ci-après « Beauregard »), une entreprise adjudicataire de dix (10) contrats de nettoyage de puisards découlant de l’appel d’offres 19-17453 et de trois (3) contrats de nettoyage d’égouts découlant de l’appel d’offres 19-17357.
Selon la première partie de la dénonciation, Beauregard serait réellement dirigée par Michel Chalifoux, ce qui la rendrait inadmissible aux contrats publics, car ce dernier et son entreprise de l’époque, Chalifoux Sani-Laurentides, auraient été inscrits au registre des entreprises non admissibles (ci-après « RENA ») suite à une enquête menée par le Bureau de la concurrence du Canada.
Malgré les prétentions de Michel Chalifoux et de sa conjointe, Dany Fréchette, à l’effet qu’il ne serait qu’un consultant bénévole auprès de cette dernière qui, elle, occupe le rôle de présidente de Beauregard, il y a une surabondance de faits démontrant qu’il est plutôt l’âme dirigeante de l’entreprise pour les fins de ses soumissions aux appels d’offres 19-17357 et 19-17453, puis de l’exécution des contrats qui en ont découlé. En effet, l’enquête menée par le Bureau de l’inspecteur général révèle que Michel Chalifoux est celui :
- qui a préparé les soumissions de Beauregard, notamment en élaborant la stratégie de soumission et les prix de l’entreprise en vue de l’appel d’offres 19-17453,
- qui s’implique activement dans l’exécution des contrats découlant des appels d’offres 19-17357 et 19-17453,
- qui a servi de point de contact pour Beauregard au cours de l’enquête du Bureau de l’inspecteur général, et
- qui gère la relation avec le sous-traitant principal de Beauregard pour les fins de l’exécution des contrats découlant des appels d’offres 19-17357 et 19-17453, soit l’entreprise 9108-4566 Québec inc. effectuant le transport des boues collectées dans les puisards et égouts de la Ville de Montréal (ci-après « Entreprises Pesant »).
Par ailleurs, il est à noter qu’au terme d’une entente intervenue avec la Poursuite, seule l’ancienne entreprise de Michel Chalifoux a plaidé coupable. Conséquemment, la première partie de la dénonciation est non-fondée puisqu’il n’a pas été inscrit au RENA et est admissible aux contrats publics, tout comme Beauregard.
Selon la deuxième facette de la dénonciation, les prix soumis par Beauregard en réponse à l’appel d’offres 19-17453 seraient largement inférieurs à ceux du marché en raison de l’élimination illicite qu’elle ferait des boues collectées dans les puisards.
Ne sachant pas si l’élimination des boues se faisait en les rejetant directement dans les égouts de la Ville, ou ailleurs, le Bureau de l’inspecteur général a entrepris une surveillance des camions de Beauregard exécutant les contrats découlant de l’appel d’offres 19-17453. De plus, bien que la dénonciation ne portait que sur les contrats découlant de l’appel d’offres 1917453 pour le nettoyage des puisards, des informations obtenues en cours d’enquête ont amené le Bureau de l’inspecteur général à se pencher également sur d’autres contrats obtenus par Beauregard dans un domaine similaire, soit ceux découlant de l’appel d’offres 19-17357 pour le nettoyage des égouts
L’enquête révèle que Beauregard, par le biais de son sous-traitant en transport, les Entreprises Pesant, déverse illicitement les boues issues du nettoyage des puisards et des égouts de Montréal sur les terres agricoles de Pascal Pesant. De plus, l’enquête a permis de relever plusieurs autres manquements contractuels, tant dans l’exécution des contrats de nettoyage de puisards, que de ceux de nettoyage d’égouts :
- Des puisards non nettoyés ont été facturés à l’arrondissement de Pierrefonds-Roxboro,
- Des tests d’écoulement des puisards, devant être effectués systématiquement, n’ont pas été réalisés mais ont tout de même été facturés à l’arrondissement de Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce,
- La période de décantation de trente (30) minutes suite au nettoyage du dernier puisard, pourtant explicitement exigée au devis, n’a pas été systématiquement respectée, ce qui a notamment eu pour effet d’augmenter le poids obtenu lors de la pesée des boues issues du nettoyage des puisards,
- La pesée des boues a fait l’objet de surfacturation à plusieurs égards.
De surcroit, l’enquête permet de constater que Beauregard, notamment par l’entremise de Michel Chalifoux, avait connaissance que les déversements sur les terres agricoles de Pascal Pesant avaient lieu. Cette situation qui prévalait depuis 2016 permet d’inférer qu’en déposant ses soumissions, préparées par Michel Chalifoux, Beauregard avait l’intention d’opter pour cette même façon d’opérer avec Les Entreprises Pesant qui ne respectait pas les exigences d’élimination des boues prévues au devis.
Ce faisant, tant Michel Chalifoux, que Beauregard, Pascal Pesant et les Entreprises Pesant ont commis une manœuvre frauduleuse au sens du Règlement sur la gestion contractuelle, dans sa version en vigueur au moment des faits. De même, en surfacturant de façon ponctuelle, mais répétée, le poids des boues issues du nettoyage des puisards et des égouts, Beauregard a commis un deuxième type de manœuvre frauduleuse. La même conclusion s’applique à l’endroit de Michel Chalifoux, celui-ci ayant révisé les factures de Beauregard avant leur envoi.
L’article 57.1.10 de la Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec prévoit deux (2) conditions cumulatives pour que puisse intervenir l’inspectrice générale. Celle-ci doit constater le non-respect d’une des exigences des documents d’appel d’offres ou d’un contrat. Elle doit également être d’avis que la gravité des manquements constatés justifie la résiliation du contrat.
Les multiples manquements contractuels constatés au terme de l’enquête ont été énumérés ci-haut. Pour ce qui est de la gravité du déversement des boues sur des terres agricoles, il est question d’une contravention flagrante par Beauregard d’exigences obligatoires et fondamentales du devis, alors qu’il s’agit d’une considération essentielle du devis et qu’un prix distinct est pour la première fois rattaché à l’élimination des boues extraites des puisards et égouts.
Quant à la transgression délibérée des exigences de la Ville pour la décantation, elle est d’autant plus grave que l’importance accordée par la Ville à cette obligation contractuelle a été clairement annoncée dans les devis aux éventuels cocontractants au moyen de surlignés, caractères gras et majuscules. Les autres contraventions révélées par l’enquête sont tout autant révélatrices de la propension de cette entreprise à faire fi de ses engagements contractuels.
En somme, l’inspectrice générale estime que les deux conditions requises par l’article 57.1.10 de la Charte de la Ville de Montréal sont rencontrées dans le présent dossier et conséquemment, elle procède à la résiliation des dix (10) contrats découlant de l’appel d’offres 19-17453 et de deux des trois (3) contrats découlant de l’appel d’offres 19-17357 et octroyés à Beauregard.
Pour ce qui est du troisième contrat découlant de l’appel d’offres 19-17357, soit celui octroyé par le conseil d’arrondissement de Plateau-Mont-Royal, l’inspectrice générale ne peut le résilier. En effet, le contrat de cet arrondissement est le seul dont l’exécution a été entamée après le début des rencontres des employés de Beauregard et des Entreprises Pesant. Ainsi, malgré les doutes qui peuvent être entretenus à l’égard d’une élimination des boues conformément au devis, l’enquête ne peut en établir le non-respect à ce stade-ci.
Toutefois, l’inspectrice générale est d’avis qu’en agissant comme elle l’a fait, Beauregard a miné irrémédiablement le lien de confiance l’unissant contractuellement à la Ville. Conséquemment, elle recommande au conseil d’arrondissement de Plateau-Mont-Royal de résilier le contrat qu’il a octroyé à Beauregard suite à l’appel d’offres 19-17357.
Par ailleurs, en raison de leurs contraventions susmentionnées aux dispositions du Règlement sur la gestion contractuelle en vigueur au moment des faits, et à la lumière des nouvelles dispositions adoptées en 2020 relativement à l’imposition des sanctions, l’inspectrice générale est d’avis qu’une période d’inadmissibilité de cinq (5) ans serait appropriée pour Michel Chalifoux et Beauregard, tandis que la durée de cette même sanction devrait être de trois (3) ans pour Pascal Pesant et les Entreprises Pesant.
En dernier lieu, l’enquête a mis en relief certaines problématiques en lien avec l’encadrement global mis en œuvre par la Ville de l’élimination de ses boues, desquelles découlent deux recommandations. La première est que la Ville obtienne, de la part de l’adjudicataire éventuel, une lettre d’engagement du site d’élimination identifié dans sa soumission confirmant l’acceptation des matières résiduelles spécifiquement générées par l’exécution du contrat.
En ce qui concerne la deuxième recommandation, l’inspectrice générale est d’avis qu’afin de réduire les déplacements, de limiter les coûts et de freiner les déversements illégaux, la Ville devrait étudier la possibilité d’exploiter les sites d’entreposage temporaire dont elle dispose ou d’aménager de nouveaux lieux pour la gestion transitoire des boues générées lors de l’exécution de ses prochains contrats de nettoyage de puisards et d’égouts.