2019-06-17

Résiliation de deux contrats visant des services de déneigement des chaussées et des trottoirs (appel d’offres 16-15049), décision prononcée le 17 juin 2019

Résumé

Résiliation de deux contrats déneigement de Transport Rosemont inc. car, de manière récurrente, cette entreprise ne chargeait pas à capacité les camions utilisés pour le transport de la neige alors qu’elle était payée selon le plein volume mesuré de leurs bennes. Ce stratagème a également entraîné la recommandation d’une déclaration d’inadmissibilité pour une durée de cinq années.

EXPOSÉ SOMMAIRE

Le Bureau de l’inspecteur général a mené une enquête à la suite de la réception d’une dénonciation à l’effet que l’entreprise Transport Rosemont inc. mettait en œuvre un stratagème afin de faire augmenter considérablement sa rémunération dans le cadre de l’exécution de contrats de déneigement qui lui avaient été octroyés dans l’arrondissement Villeray—Saint-Michel—Parc-Extension (ci-après « VSMPE »).

Contrairement à ses obligations et alors que l’entreprise est payée selon le plein volume de ses camions, Transport Rosemont ne chargeait pas à pleine capacité les camions utilisés pour le chargement et le transport de la neige. Selon la dénonciation, plus de trois cents (300) des cinq cents (500) chargements de camions effectués lors de la cinquième (5e) opération de chargement de la neige en 2019 n’étaient pas pleins.

L’appel d’offres 16-15049 a été publié par le Service de concertation des arrondissements (ci-après « SCA ») en 2016 et visait à obtenir des services de déneigement des chaussées et des trottoirs, par secteur. Deux de ces contrats touchaient des services requis par l’arrondissement VSMPE dans ses secteurs 103 et 107. D’une durée de quatre (4) ans, ces contrats ont été octroyés à Transport Rosemont, le tout pour des montants respectifs de 5 002 038,32 $ et 4 279 362,52 $, toutes taxes incluses.

Dans le cadre de l’exécution des contrats de déneigement, dont l’appel d’offres 16-15049, des responsables de la Ville de Montréal procèdent au mesurage du plein volume des bennes de chacun des camions à être utilisés par l’entrepreneur à chaque début de saison hivernale. Ayant pris la peine de mesurer les bennes de ces camions et étant donné que Transport Rosemont est rémunérée en fonction du volume de neige transportée, la facturation est effectuée en partant de la prémisse que le chargement de chacun des camions se rendant au LEN est plein. Selon le prix unitaire soumis par Transport Rosemont et la capacité mesurée de la benne du camion qui l’effectue, chaque chargement plein peut représenter de 172,12 $ à 332,61 $ pour l’entreprise.

Les enquêteurs du Bureau de l’inspecteur général ont rencontré les contremaitres et les opérateurs des souffleuses de neige œuvrant, tous des employés de Transport Rosemont, dans les secteurs 103 et 107. Ces derniers ont indiqué que lors d’une opération de chargement de la neige, il revenait à l’opérateur de la souffleuse de déterminer visuellement si la benne d’un camion était pleine. À cet effet, ils ont affirmé qu’à l’exception de certaines circonstances particulières, on devrait pouvoir voir deux (2) ou trois (3) bosses de neige dans la benne du camion, selon la longueur de ce dernier.

Or, lorsque le Bureau de l’inspecteur général a procédé à l’analyse des photos de l’ensemble des cinq cent quatorze (514) chargements effectués par Transport Rosemont au cours de la 5e opération de chargement de la neige, le portrait révélé était tout autre. En effet, trois cents (300) de ces chargements étaient remplis à 50 % ou moins, soit une proportion de 50 % des chargements issus du secteur 103 et 66,5 % de ceux provenant du secteur 107.

Pour des fins de comparaison, le Bureau de l’inspecteur général a analysé les chargements effectués par un autre entrepreneur dans le secteur 102 adjacent à ceux détenus par Transport Rosemont. Il appert que ce ne sont que trois (3) des deux cent deux (202) chargements effectués dans le secteur 102 qui sont remplis à 50 %, soit une proportion de 1,5 % de chargements irréguliers. L’écart est drastique, d’autant plus que le SCA estime que la norme de chargements partiels acceptable est d’environ 2 % des chargements.

Même si le directeur général de l’entreprise a été averti par des représentants de l’arrondissement VSMPE après la 5e opération, sur les deux cent quatre-vingt-dix-sept (297) et trois cent vingt-six (326) chargements de neige effectués par Transport Rosemont dans les secteurs 103 et 107 lors de la 6e opération de chargement, ce sont vingt-deux (22) et soixante-neuf (69) chargements qui étaient remplis à 50 % ou moins, soit des proportions de 7,4 % et 21,2 %. En comparaison, ce ne sont que trois (3) des deux cent quatre-vingts (280) chargements effectués par l’entrepreneur dans le secteur 102 adjacent qui étaient remplis à 50 %, soit un taux de 1,1 %.

Le Bureau de l’inspecteur général a également analysé les transactions des chargements effectués par Transport Rosemont pour les secteurs 103 et 107 lors des quatre (4) premières opérations de chargement de la saison hivernale 2018-2019. Celles-ci révèlent que les proportions de chargements remplis à 50 % ou moins varient de 11,2 % à 28,5 % pour les chargements provenant du secteur 103 et de 13,4 % à 45,5 % pour ceux issus du secteur 107.

L’article 57.1.10 de la Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec prévoit deux (2) conditions cumulatives pour que puisse intervenir l’inspectrice générale. Celle-ci doit constater le non-respect d’une des exigences des documents d’appel d’offres ou d’un contrat, ou que des renseignements donnés dans le cadre du processus de passation d’un contrat sont faux. Elle doit également être d’avis que la gravité des manquements constatés justifie la résiliation du contrat.

En ce qui concerne le premier critère, il est rencontré tant par l’inexécution de l’obligation de remplir les bennes des camions à capacité que par l’infraction à l’article du règlement sur la gestion contractuelle de la Ville de Montréal (ci-après « RGC ») interdisant la commission de manœuvres frauduleuses dans le cadre de l’exécution de ses contrats.

En effet, la preuve révèle que les opérateurs des souffleuses, employés de Transport Rosemont, étaient ceux qui décidaient de la quantité de neige à souffler dans les bennes des camions et malgré leur connaissance des standards attendus en pareille matière, n’ont systématiquement pas rempli les bennes à leur pleine capacité. De même, les justifications avancées par Transport Rosemont afin d’expliquer un tel comportement ne sont pas crédibles et ne peuvent donc pas être retenues.

Pour ce qui est de la gravité des manquements, elle tient notamment au fait que les chargements incomplets sont récurrents au fil des multiples opérations de chargement de la neige et qu’ils dénotent une mauvaise foi patente de la part de Transport Rosemont dans l’exécution d’une des obligations centrales des contrats de déneigement, soit le chargement de la neige. En ce sens, en agissant comme elle l’a fait, Transport Rosemont a miné irrémédiablement le lien de confiance l’unissant contractuellement à la Ville. D’autant plus que des contrats tels que ceux découlant de l’appel d’offres 16-15049 impliquent plusieurs centaines de chargements de camions au cours de l’hiver et requièrent donc un haut degré de confiance dans la bonne foi du cocontractant.

En somme, l’inspectrice générale est d’avis que les conditions prévues à l’article 57.1.10 de la Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec sont établies et elle prononce la résiliation des contrats octroyés à Transport Rosemont par le conseil municipal le 21 juin 2016 suite à l’appel d’offres 16-15049. Conformément aux dispositions du RGC, l’inspectrice générale recommande que Transport Rosemont soit écartée de tout appel d’offres et de la possibilité de conclure des contrats de gré à gré avec la Ville pendant une période de cinq (5) ans.

Par ailleurs, il a été permis d’apprendre en cours d’enquête que l’instrument laser utilisé par la Ville de Montréal pour mesurer les bennes des camions n’est pas certifié par l’instance fédérale appropriée, soit Mesures Canada. Partant de ce fait, Mesures Canada a informé le SCA qu’un instrument non certifié ne peut être utilisé. De l’avis de l’inspectrice générale, il est important qu’outre les implications légales, l’Administration municipale se conforme aux normes applicables en la matière afin de préserver la confiance des adjudicataires et des soumissionnaires potentiels.

Il est également à souligner que la décision de Mesures Canada vis-à-vis de l’instrument en question n’affecte pas les résultats de l’enquête et les conclusions du présent rapport, les questions du mesurage et de la détermination du volume des bennes étant indépendante de celle relative à leur remplissage en cours d’exécution de contrat.

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