Résumé
EXPOSÉ SOMMAIRE
Le Bureau de l’inspecteur général a mené une enquête à la suite de la réception de plusieurs dénonciations à l’égard du Service du matériel roulant et des ateliers de la Ville de Montréal (ci-après « SMRA » ou « Service »), alléguant divers problèmes en lien avec le respect du cadre normatif lors de la passation des contrats, dont un faible nombre d’appels d’offres publics et le fractionnement de contrats. De plus, certaines dénonciations faisaient état d’irrégularités au stade de la gestion contractuelle.
Le SMRA a pour mission de s’assurer de la disponibilité et de la fiabilité des véhicules et de divers services et produits spécialisés, adaptés aux besoins des arrondissements et des unités, le tout de façon écoresponsable et dans un milieu de travail sécuritaire. En 2017, la responsabilité du SMRA a été élargie, passant des neuf arrondissements issus de l’ancienne Ville de Montréal à tous les dix-neuf arrondissements de la Ville. Tel que l’indique son nom, son mandat principal vise l’acquisition et l’entretien du matériel roulant de la Ville de Montréal et à cette fin, implique divers processus de passation de contrats.
L’enquête a permis d’établir plusieurs constats, ceux-ci se regroupant en trois catégories. La première concerne, de façon générale, la direction du SMRA et les mesures d’encadrement des processus contractuels qui ont été mises en place. À cet égard, les constats suivants se dégagent de l’enquête menée :
- Un certain manque de formation et de maitrise du cadre normatif par la direction du SMRA, dont la croyance, erronée, que chaque atelier et garage du Service est indépendant eu égard à la comptabilisation des dépenses encourues et des seuils d’appels d’offres qui y sont associés,
- Une absence de suivi formel ou d’assignation claire de personnel pour plusieurs facettes d’encadrement de la gestion contractuelle, comme par exemple, le montant annuel des dépenses par fournisseur, le respect des seuils contractuels, les dépassements de coûts et le respect des clauses contractuelles,
- Une culture d’entreprise existant au sein de la direction du Service en vertu de laquelle le respect des règles contractuelles n’est pas perçu comme étant requis, mais plutôt vu en opposition aux services à fournir aux arrondissements et aux citoyens. Il y a également une absence récurrente de planification des besoins par la direction du Service qui mène souvent à l’invocation d’une situation d’urgence pour conclure des contrats de gré à gré.
La seconde catégorie de constats touche au non-respect des règles de passation des contrats publics. Le Bureau de l’inspecteur général a procédé à une analyse détaillée de tous les bons de commande émis par le SMRA auprès de 10 fournisseurs sur une période de cinq ans. En bout de ligne, ce sont des sommes de près de 9 000 000 $ qui ont été dépensées de gré à gré par le SMRA auprès de ces fournisseurs en l’espace de cinq ans, alors qu’il s’agissait de besoins récurrents et prévisibles. Dans ces circonstances, l’absence d’appel d’offres public représente une contravention des règles d’ordre public prescrites par la Loi sur les cités et villes.
Toujours dans cette seconde catégorie de manquements aux règles de passation des contrats publics, l’enquête révèle également qu’un dossier de location de machinerie de déneigement a été mal géré, créant une situation d’« urgence » et menant ultimement à l’octroi, de gré à gré, de quatre contrats au même adjudicataire, le tout en contravention des règles de rotation des fournisseurs prévues au règlement sur la gestion contractuelle (ci-après « RGC »).
En ce qui concerne la troisième catégorie de constats, elle englobe quatre cas problématiques de gestion contractuelle, dont :
- Des lacunes dans le processus d’évaluation de l’opportunité d’imposer des pénalités contractuelles à un fournisseur. La direction du SMRA a choisi de ne pas les imposer pour diverses raisons, dont le fait que les pénalités auraient été globalement équivalentes aux montants qui auraient pu être réclamés par le fournisseur. Or, alors que les sommes s’élevaient de part et d’autre à quelques centaines de milliers de dollars, il s’avère que la décision a été prise sans avoir en mains un décompte exact des montants respectifs.
- Une licence d’un logiciel a été utilisée par le SMRA en contravention avec les conditions contractuelles. En effet, alors que chaque garage et atelier devait acquérir sa propre licence, une seule licence était utilisée pour l’ensemble de celles-ci. Au moment de renouveler cette licence, le fournisseur a signalé au SMRA qu’il s’était aperçu de cette pratique. Cependant, étant donné que le montant de la dépense pour l’acquisition d’une licence pour chaque établissement impliquait un appel d’offres sur invitation, le Service a choisi, sous prétexte que le renouvellement était trop urgent, de n’en acquérir qu’à concurrence du seuil de gré à gré et la pratique a été maintenue.
- Un membre de la direction du SMRA a distribué, aux employés du Service, 100 casquettes promotionnelles comportant côte à côte les logos d’un fournisseur et de la Ville de Montréal. Outre l’utilisation du logo de la Ville sans que rien n’indique que l’approbation préalable du conseil municipal n’ait été obtenue, ces casquettes posent un problème à l’endroit de l’apparence d’intégrité des appels d’offres, pouvant prêter flanc à une apparence de partialité ou de favoritisme de la part de la Ville. Les officiers municipaux doivent toujours avoir à l’esprit qu’ils sont les fiduciaires des deniers publics et les gardiens de première ligne de l’intégrité contractuelle de la Ville.
- En raison d’une insuffisance budgétaire, des bons de commande ont été émis par le SMRA avec une valeur initiale de 1 $ avant d’être éventuellement modifiés afin de refléter la valeur réelle de la transaction. Il s’agit d’une pratique éminemment inacceptable qui entraine des engagements pour des montants dont les crédits ne sont pas alloués et peuvent encore moins être suivis rigoureusement par la direction du Service, le tout dans l’espoir de l’autorisation d’une éventuelle majoration budgétaire.
Finalement, il est à souligner que l’enquête du Bureau de l’inspecteur général ne constitue pas la première intervention à l’endroit du SMRA en lien avec ses problèmes de respect du cadre normatif. Le Contrôleur général était intervenu en 2018 en lien avec le dépassement des seuils d’appels d’offres, mais aucun changement n’a été apporté depuis. De même, bon nombre d’employés du SMRA ont fait part de divers enjeux de respect du cadre normatif à leurs supérieurs hiérarchiques, mais en réponse à l’inaction qui s’en suit, plusieurs se résignent à changer d’emploi.
En somme, l’ensemble des faits révélés par l’enquête permettent de mettre en lumière une problématique marquée et généralisée au sein de la quasi-totalité de la direction du Service du matériel roulant et des ateliers de dysfonctionnement profond de la gestion contractuelle qui est effectuée, dont entre autres, une absence de suivi formel des dépenses, un dépassement récurrent des seuils d’appels d’offres publics pour de multiples fournisseurs et un non-respect du cadre normatif et des règles du RGC. Les manquements au cadre normatif sont variés, nombreux et dans certains cas, très graves. De plus, ils perdurent depuis quelques années et ont déjà été portés à l’attention de la direction du SMRA.
De l’avis de l’inspectrice générale, la situation prévalant au sein du SMRA doit impérativement faire l’objet d’un prompt redressement. De plus, elle soumet certains éléments qui doivent être inclus dans un plan à cet effet et s’engage à faire des vérifications des mesures qui seront adoptées par la Ville.
Malgré les constats de l’enquête qui précèdent, il est à souligner que la preuve recueillie à ce jour par le Bureau de l’inspecteur général ne permet pas de démontrer la commission d’actes criminels (p.ex. fraude ou corruption) par la direction du SMRA, ni de déceler la commission d’actes répréhensibles de la part des fournisseurs mentionnés dans le présent rapport.